Vient de PARAITRE : "Claude entre deux mondes"
Œuvre biographique où je raconte l'histoire de mon père et à travers lui, tout un pan de l'histoire de la Réunion.
Prologue :
La gifle avait claqué, nette et brutale, dans le silence étouffé de notre petite cuisine.
Pour la première fois de ma vie, mon père avait levé la main sur moi.
J’avais 17 ans et des poussières.
Le feu de ses doigts imprimé sur ma joue me fit mal, je maintins mon regard dans le sien, audacieusement.
Pas un mot. Juste ce défi silencieux dans mes yeux.
Pas de larmes, pas de tremblements. Je lui lançai un regard froid, presque indifférent.
Je lui donnai un air de « pas du tout affectée » et me dirigeai vers la pièce où se lovait notre télévision. Le film annoncé : Le gendarme et les
extra-terrestres.
Orgueilleusement, je mis ma douleur de côté, ainsi que la cause de cette situation. Je me devais de lui montrer que tout allait parfaitement
bien.
Qu’il n’avait aucune emprise sur moi.
Et je m’abandonnai aux pitreries de Louis de Funès et de ses collègues. J’ai ri. Fort, presque trop fort, comme pour percer les murs
épais de cette maison de pierre.
Mon père, lui, était allé se coucher. Mais je savais qu’il m’entendait.
Je voulais qu’il m’entende. Je voulais que mon rire lui prouve que j’étais libre, que je restais maître de mes émotions malgré tout.
Nous étions, mes frères, ma sœur et moi, assis dans le petit salon qui jouxtait la chambre de nos parents pour regarder le téléfilm.
Cécé, mon jeune frère, me toisait avec étonnement et une certaine admiration. Ce n’était pas mon habitude de me rebeller. J’étais celle
qu’on décrivait comme plutôt sage, obéissante, studieuse. Celle dont mes parents étaient fiers.
Le lendemain matin, ma mère m’interpella sur un ton de reproche :
— Tu as fait pleurer ton père hier soir.
J’ai haussé les épaules et répliqué :
— Et lui ? Tu crois qu’il ne m’a pas fait pleurer ?
Je n’ai jamais oublié ce jour. Le jour où mon père, l’homme que j’affectionnais plus que tout au monde, n’a pas su me comprendre et
me faire confiance.
Aujourd’hui, avec le recul que me donne la vie, je regarde cet épisode différemment. Je n’adhère plus aux corrections corporelles, mais
je comprends. Je comprends cet homme, complexe et silencieux, cet homme pris entre son rôle de père et ses blessures secrètes.
« Tu comprendras quand tu seras grande ! » Voilà ce que les adultes me disaient quand j’étais petite. Ces mots m’ont longtemps exaspérée.
Pourtant, à mesure que les années ont passé, beaucoup d’ombres de mon enfance ont trouvé leur lumière.
Ce roman biographique raconte la vie de mon père, Claude. Sa vie, telle qu’on me l’a racontée et telle que je l’ai comprise et ressentie. Sans
doute certains membres de ma famille ne seraient pas en accord sur quelques points de ce récit. Ce qui est normal, chacun de nous porte
un regard unique sur notre enfance, sur nos souvenirs. Mais dans ces pages, c’est mon récit, ma vérité. C’est l’histoire d’un homme né à l’île
de La Réunion le 6 avril 1933 et parti bien trop tôt à l’âge de 69 ans.
Un père. Un héritage. Une empreinte indélébile.